Mgr Centène au Pardon des élus

Publié le par Venez et voyez

http://lesalonbeige.blogs.com/.a/6a00d83451619c69e2017c33fba43f970b-800wi
Voici l'homélie de Mgr Centène, évêque de Vannes, prononcée hier, lors du pèlerinage ou du « Pardon » des élus en la basilique de Sainte-Anne d’Auray :

"Nous célébrons aujourd’hui la fête du Christ-Roi, un Roi qui se présente à nous ce matin sous les traits d’un accusé devant son juge. Sous les traits d’un condamné qui sera exécuté dans quelques heures, car la question posée par Pilate - « Qu’est-ce que la vérité ? » - restera pour lui sans réponse.
Pourtant, la Royauté du Christ que nous célébrons aujourd’hui n’est ni le reliquat du triomphalisme supposé de l’Eglise d’antan, ni le confinement de la souveraineté divine dans l’enceinte de nos cœurs ou de nos églises de pierres. La Royauté du Christ est un fait total, plénier, universel. Vrai Dieu, le Christ est maître de toute chose. Vrai homme, c’est de son Père  qu’il reçoit - en tant qu’homme - « domination, gloire et royauté[1] ». La Royauté du Christ a donc son fondement dans sa divinité : c’est son « droit de naissance ». Mais c’est aussi en tant qu’homme que nous appelons le Christ notre Roi[2]. Jusqu’à son avènement dans le monde, la Royauté de Dieu, bien que réelle, était entravée par la rébellion de l’homme. Par son incarnation, sa mort et sa Résurrection, le Christ déploie pleinement cette royauté en réconciliant l’homme avec Dieu : c’est son « droit de conquête ». Une conquête qui ne se réalise pas par l’écrasement de ses ennemis défaits mais par le service de ceux qu’il est venu sauver. Service d’amour qui le pousse à donner sa vie pour ceux qu’il aime. « Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude[3]. »
Cette réconciliation par l’amour qui se donne, qui s’immole, qui se sacrifie, est une réconciliation totale parce qu’elle est intime : par son Incarnation, le Christ a uni l’humanité à sa personne. Par son Ascension, il a élevé cette humanité, notre humanité, jusqu’à la gloire divine.
C’est pour cette raison que nos frères orthodoxes célèbrent encore le Christ-Roi au jour de l’Ascension, jour de réconciliation et de communion parfaites de l’humanité et de la divinité, source d’ordre et donc de paix. Les hommes, en voyant le Christ - l’Homme parfait -  monter sur le trône divin, connaissent désormais leur avenir, leur dignité insoupçonnée : participer à la divinité de celui qui a pris notre humanité. Et régner avec Lui.
C’est donc en s’ouvrant au monde que Dieu veut élever l’homme pour peu que l’homme écoute sa voix. « Quiconque est de la vérité écoute ma voix[4]. »

De la même manière, l’Eglise - Corps mystique du Christ - s’ouvre au monde pour transmettre à tous l’invitation inimaginable du Christ :« Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu[5]. » La Royauté du Christ se déploie donc dans deux lignes : la ligne du service et la ligne de la Vérité : « Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité. Quiconque est de la Vérité écoute ma voix[6]. »

En s’ouvrant à nous, Dieu nous révèle la vérité, une vérité qui libère : « La vérité vous rendra libre[7] » nous dit le Christ. Oui, la vérité rend libre ! La connaissance et le choix du vrai déploient toutes les virtualités et les potentialités du réel. Les scientifiques le savent bien, qui approfondissent chaque jour les mystères de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, en vue du progrès et du développement humain. Vous le voyez, notre capacité de choisir est certes la condition nécessaire de notre liberté mais elle ne nous libère que lorsqu’elle choisit le vrai, le beau, le bien. Le Concile Vatican II - dont nous fêtons cette année les 50 ans - nous le rappelle : « Notre époque a besoin d’une […] sagesse, pour humaniser ses propres découvertes, quelles qu’elles soient[8]. »

Cette connexion intime entre vérité et épanouissement de la liberté est valable dans tous les domaines : scientifiques, anthropologiques, politiques, psychologiques, philosophiques, spirituels. Or, la vérité que le Christ nous a transmise n’intéresse pas seulement le domaine propre de la foi. Elle vient aussi confirmer et corriger la connaissance que l’homme acquiert du monde et de lui-même par ses propres forces, péniblement, lentement et rarement sans erreur[9]. A la suite du Christ, le Concile réaffirme et défend la vérité de l’homme, conscient qu’il était de son éminente dignité : « L’Église qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine[10]. » Sur cette terre, le seul souci de l’Eglise est le bien de l’homme, de tout l’homme et de tous les hommes, de leur conception à leur mort naturelle.

Ce souci de l’Eglise passe donc nécessairement par une attention discrète mais vigilante au destin de la Cité terrestre. C’est le noble sens du mot politique. Car « pour instaurer une vie politique vraiment humaine, rien n’est plus important que de développer […] le dévouement au bien commun[11]. »

C’est pourquoi l’Eglise peut et doit intervenir dans le débat public lorsque cette identité de l’homme est remise en question. Et dans cet exercice, son but est toujours de remettre l’homme et sa vérité au cœur des décisions, qu’elles soient politiques, économiques ou sociétales. Comment ce devoir - que l’Eglise doit exercer jusqu’au martyr - est-il compatible avec le principe désormais communément admis de la laïcité, qui a été ce matin l’objet de la réflexion de nos élus avec le père Rivallain?

La constitution conciliaire Gaudium et Spes nous encourage à marcher ensemble -Eglise et Etat - dans le respect des particularités de chacun mais toujours dans le même sens : « Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu. L’homme, en effet, n’est pas limité aux seuls horizons terrestres, mais, vivant dans l’histoire humaine, il conserve intégralement sa vocation éternelle[12]. »

Voilà ce qu’est vraiment l’authentique laïcité, qu’on la qualifie de « saine[13] », de « positive » ou encore d’ « ouverte[14] ».

Le Pape Benoît XVI nous disait en 2008 à l’occasion de son voyage en France: « En ce moment historique où les cultures s’entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue nécessaire. Il est en effet fondamental, d’une part, d’insister sur la distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l’État envers eux, et d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société[15]. »

Déjà sérieusement mis à mal en différents domaines, ce consensus éthique que Benoît XVI appelle de ses vœux est sans doute à la veille d’une nouvelle fracture. Face au projet de loi sur un hypothétique « mariage » homosexuel, notre responsabilité de pasteur nous oblige à réaffirmer haut et fort la vérité universelle inscrite au cœur de la nature humaine et mise en pleine lumière par le Christ pour écarter les ombres du mensonge.

Avec les Pères conciliaires qui nous précédèrent, nous réaffirmons cette vérité fondamentale que tout honnête homme peut traduire dans sa philosophie : « Dieu n’a pas créé l’homme solitaire : dès l’origine, « il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cette société de l’homme et de la femme est l’expression première de la communion des personnes. Car l’homme, de par sa nature profonde, est un être social, et, sans relations avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités[16]. »

Certes, l’Eglise restera toujours pleine de sollicitude pour les personnes homosexuelles, comme elle l’est pour l’ensemble des hommes, tous marqués par le désordre originaire. Mais l’Eglise se doit aussi de promouvoir le bien commun des sociétés, un bien commun fondé sur la vérité de l’homme, au seul service de sa liberté et de  son épanouissement.

En effet, le mariage n’est pas un pur concept inventé de toute pièce où l’on aurait inclus un jour les couples hétérosexuels et dans lequel nous pourrions aujourd’hui ajouter les couples homosexuels. Le mariage n’est pas d’abord la reconnaissance publique des sentiments, ni un contrat dont les termes seraient aléatoires. Le mariage est d’abord et avant tout une réalité, un fait de nature : l’union d’un homme et d’une femme en vue de la procréation et de l’éducation de leurs enfants. Des enfants pour qui le lien de filiation est essentiel dans la construction psychologique de leur identité. Le concept de mariage ne vient qu’après tout cela : il décrit cette réalité. Et s’il bénéficie de la faveur du droit, c’est parce qu’il est ordonné au bien commun de la société et de l’espèce humaine. Inclure une autre réalité dans la notion de mariage détruirait son sens et sa valeur. Ce serait un mensonge de plus à l’endroit des personnes homophiles en quête de bonheur. Car la réalité concrète du mariage, elle, ne change pas. Légiférer sur un mensonge – et à l’encontre du bien commun - rendrait en outre périlleux l’exercice d’une laïcité apaisée et mutuellement enrichissante.

Comment l’Eglise et l’Etat s’entendraient-ils sur une réalité aussi essentielle que le mariage, qui assure la vie et la prospérité de la Cité par la procréation des générations futures, l’éducation et surtout l’équilibre humain de nos enfants ?

Chers élus et représentants, votre rôle est absolument essentiel au sein de la société. Au-delà des divergences d’appréciations et des querelles de parti, l’heure doit être à la réflexion sincère sur l’identité de l’homme et l’avenir de notre société. Une réflexion qui doit laisser toute sa place au rôle irremplaçable et imprescriptible de la conscience. Les mots d’ordre partisans ne peuvent ni la supprimer ni l’obscurcir. Platon avait souhaité que les philosophes soient législateurs[17]. J’en appelle à l’idée que vous vous faites de votre mission.

Que serait une société dans laquelle seules les personnes privées de conscience pourraient briguer un mandat électoral ? Une société où des hommes sans conscience seraient représentés par des élus sans conscience qui feraient des lois dans lesquelles la conscience ne serait jamais consultée ?

En cette fête du Christ-Roi, confions l’avenir de notre pays à la miséricorde de Dieu. Confions ses élus à sa lumière.

Amen."


[1] Dn 7, 14.

[2] Pie XI, enc. Quas Primas, n°5.

[3] Mt 20,28.

[4] Jn 18,37.

[5] S. Ath. D’ALEXANDRIE, L’Incarnation, 54, 3.

[6] Jn 18,37.

[7] Jn 8,32.

[8] PAUL VI et les PÈRES DU SAINT CONCILE, Gaudium et Spes(désormais GS), n°15.

[9] Cf. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, Ia , Q1, a1, resp.

[10] GS, 76.2.

[11] GS, 73.5.

[12] GS, 76.3.

[13] BENOÎT XVI, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente,  Beyrouth, Liban, 14 septembre 2012, n°29.

[14] N. SARKOZY, Discours au Palais du Latran, 20 décembre 2007.

[15] BENOÎT XVI, Discours, Paris, Palais de l’Elysée, 12 septembre 2008.

[16] GS, 12.4.

[17] PLATON, La République, livre V.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article